Matthew Polenzani, de Nemorino à Don Carlos et… à Lohengrin.
Paul Fourier
Toute la Culture
Le ténor se trouve à Paris pour 7 représentations de l’Élixir d’amour de Donizetti, à l’Opéra Bastille. Alors que nous trouvons qu’il est bien trop rare en France, nous ne pouvions manquer de le rencontrer et de l’interviewer…
Bonjour Matthew,
Vous voilà à Paris pour l’Élixir d’amour. Il est rare de vous y voir, car vous êtes plutôt familier du Metropolitan Opera.
C’est vrai, mais je ne travaille pas seulement en Amérique mais également en Europe, en Espagne, Italie, Allemagne, à Londres…
Le seul endroit où, effectivement, je chante chaque année, c’est le Metropolitan Opera de New York. C’est bien sûr confortable pour moi puisque je vis dans cette ville avec ma femme et mes enfants. Originaire de Chicago, je demeure à New York depuis 1997, date à laquelle j’ai terminé mon programme d’entraînement à Chicago.
Franchement je suis fier, depuis mes débuts en 1997, de ne pas avoir raté une saison au Metropolitan, car c’est un endroit artistiquement du plus haut niveau. Cela vaut aussi pour la dernière saison dans laquelle j’ai pu donner un concert en streaming. J’aime tellement cette ville et serai vraiment malheureux de ne plus y vivre.
Cela étant, aujourd’hui mes revenus me permettent de pouvoir y habiter, mais le jour où ma carrière se terminera – c’est la vie – je devrais sûrement la quitter.
Où vous trouviez-vous en mars 2020, au début de la crise du Covid ?
J’étais à Baden-Baden. Il a été décidé de tout fermer un jeudi. Je suis rentré à New York le samedi et y suis resté jusqu’à ce que l’opportunité d’aller à Madrid se présente, à la mi-juin.
Je crois que nous avons alors réalisé 27 représentations de La Traviata en 29 jours ! Il y avait quatre distributions, celles initialement prévues en mai et en juillet. À l’origine, je devais y être en juillet. Les interprètes de Violetta, Alfredo et Germont alternaient mais tous les autres interprètes devaient chanter presque chaque jour.
À Madrid, en Italie, en France, à NYC aussi… en bref, la crise avait été terrible partout et donc, c’était un sentiment formidable de pouvoir revenir sur une scène ! À ce moment-là, nous n’étions pas vaccinés, mais les cas de Covid étaient alors peu nombreux.
« Chapeau à Joan Matabosch et au Teatro Real »
À Madrid, la direction de l’Opéra a décidé de donner des représentations, tout en étant très sérieuse sur les protocoles…
Oui, c’était très strict, mais il le fallait. « Chapeau » (en français) à Joan Matabosch (le directeur artistique du Teatro Real) parce qu’il a compris qu’ainsi, il serait possible de reprendre !… Et nous en avions besoin !
Regardez cet Élixir que nous donnons à Paris en ce moment ; le public y prend du plaisir. Il a besoin de cela ! Nous avons besoin de la musique en live. Bien sûr, nous avons eu les streamings. Pour des opéras que nous n‘entendons pas souvent, c’est bien. Mais rien ne peut remplacer le fait d’être présent dans un théâtre !
Ces représentations de Traviata étaient les toutes premières depuis le début de la pandémie…
Oui. Il y avait juste eu, je crois, quelques récitals et représentations sans public, notamment en Allemagne. Si je me le rappelle bien, à Madrid, il y avait une jauge aux alentours de 50%, mais le public présent était enthousiaste.
À ce moment-là, le nombre de cas avait bien baissé et je n’étais pas très inquiet. Quand je suis rentré de Madrid aux États-Unis, trois ou quatre semaines après, je suis allé voir mes parents, qui sont âgés, près de Chicago ; il y avait alors peu de cas. Dans cette petite ville, il devait y avoir trois cas ! Puis, j’y suis retourné après le Nouvel An, après le Met New year Eve’s gala en Allemagne ; je suis allé directement à Chicago pour un enregistrement. Je me souviens avoir alors marché avec ma mère dans la rue pendant dix minutes avec un masque et mon père n’est pas sorti de la voiture. C‘était alors pesant d’autant que le nombre de cas aux USA était très élevé. À ce moment-là, alors que la situation s’était de nouveau détériorée partout, on se demandait vraiment quand on pourrait rechanter dans des conditions normales.
Depuis, il y a eu beaucoup d’études réalisées sur les chanteurs. Bien sûr, nous expulsons beaucoup d’air dans la salle, mais c’est bien différent que de discuter dans un bar. À, à un moment, il faut assumer le fait que vous pouvez être touché, même en étant vacciné. J’ai des amis vaccinés qui l’ont contracté, car vous pouvez être asymptomatique.
« Je n’aurais pas aimé être à la place de la direction du MET »
Que pensez-vous de la situation du Metropolitan Opera qui a complètement fermé et ne rouvre que maintenant ?
La reprise s’est faite récemment avec Le Requiem de Verdi pour l’anniversaire du 11 septembre. Ce fut vraiment une grande soirée. Mais à propos de votre question, oui, le Metropolitan est resté complètement fermé et les artistes, les choristes, les musiciens de l’orchestre, les danseurs, les autres employés n’ont pas été payés. Ce fut une décision financière qu’ils ont décidé de prendre.
Mais pourquoi avoir été fermé si longtemps alors que les maisons d’opéra en Europe rouvraient ?
Je sais que d’autres maisons comme Chicago ou San Francisco, Los Angeles ont rétribué certains employés. Je n’ai pas tout compris, mais je pense qu’il y avait des raisons importantes et principalement financières. Bien sûr, le budget du MET est l’un des budgets les plus importants du monde pour un lieu artistique, mais parallèlement, pour les employés, c’est aussi vivre à New York City et cela à un coût important.
Je ne sais pas comment le management du MET a décidé cela, mais je n’aurais pas aimé être à leur place. Quoi qu’il en soit, je suis content qu’il ait rouvert.
Le Covid et les fake news
Est-ce que le Met fonctionne en jauge complète aujourd’hui ?
Oui absolument, mais la vaccination et les masques sont exigés. C’est la même chose qu’ici en Europe. Bien sûr, il y a encore beaucoup de gens qui ne veulent pas se faire vacciner. Et franchement, lorsque l’on voit le nombre important de personnes qui ont été vaccinées et le nombre de gens affectés par des effets secondaires (sûrement moins d’un pour cent), cela donne une étude en réel de l’efficacité et de la sûreté de ces vaccins. L’argument selon lequel ces vaccins-là n’auraient pas été testés ne tient pas !
Il y a aussi énormément de fake news…
Oh oui ! Ainsi, tous ces gens qui pensent que le Covid a été introduit par les gouvernements pour contrôler la population ! Ce serait fort que les gouvernements anglais, espagnol, australien, allemand, français, israélien, russe aient fait une alliance mondiale pour prendre le contrôle de la population mondiale ! (rires) C’est vraiment n’importe quoi !
Cela me fait rire lorsque j’entends aussi dire que le gouvernement veut, pas ce biais, savoir où je suis et ce que j’aime faire. Mais tu as un téléphone cellulaire et tu actives sûrement Waze ou le GPS. ! Le gouvernement peut tout à fait le savoir et se fiche de connaître l’endroit où tu es ! Mais il n’est pas possible d’argumenter avec ces personnes, car la logique ne fonctionne pas dans ces discussions.
« J’ai toujours eu un répertoire large »
Venons-en à cet Élixir d’amour de Donizetti. C’est un opéra très léger qui exige aussi une voix légère pour le rôle de Nemorino. Mais, en considérant les rôles que vous interprétez, il est évident que vous avez un répertoire très large. Vous chantez Mozart, du bel canto, bientôt Don Carlos à NYC en mars. Comment définiriez-vous votre voix ?
Cela a été ainsi durant toute ma carrière ! La première fois que j’ai chanté Traviata, c’était en 2002 ou 2003. Il y eut aussi Rigoletto dans ces années-là. Je ne voulais déjà pas m’enfermer dans un seul rôle. Il y eut également Roméo, Gérald dans Lakmé, ici en France très tôt dans ma carrière.
Ce que j’ai toujours essayé de pratiquer a été, à partir de mon répertoire normal mozartien, de faire des pas de côté vers certains rôles, puis d’y revenir et ainsi de suite. Toujours aller créer un rôle et revenir à Mozart. De cette manière, je sens que je peux aider ma voix à grandir tout en me rappelant toujours qui je suis !
Ainsi, j’espère conserver Idoménée et Titus jusqu’à la fin de ma carrière. Et je pense que cela sera aussi le cas avec Hoffmann, Werther, Luisa Miller, La Damnation de Faust…
D’autant que, pour évoquer des rôles que vous avez interprétés en français, votre prononciation est exemplaire.
Merci. C’est parce que j’ai une très bonne oreille ; mais je ne parle pas suffisamment le français pour soutenir une conversation.
Votre voix reste très fraîche.
Si vous restez bloqué dans un seul répertoire, votre voix s’habitue à celui-ci. Or, j’ai toujours eu un répertoire large. Je crois qu’il n’y a que deux ou trois rôles que j’ai chantés plus de cent fois en 26 ans de carrière : Ottavio dans Don Giovanni, Alfredo dans La Traviata, Nemorino et peut-être Rigoletto, voire Cosi. Et c’est tout !
Je me souviens en 2008, alors que je chantais dans Don Giovanni, le chanteur qui interprétait le rôle-titre était plus jeune que moi, mais il l’avait déjà chanté 150 fois ! À ce moment-là, je n’avais chanté que 70 fois en tout, tous rôles compris !
J’ai donc eu un répertoire très large avec pas mal de rôles… et aussi des récitals.
J’ai fait des tournées où pendant des mois, je ne chantais qu’accompagné d’un piano. C’est très bon pour la voix !
Alors, bien sûr, ma voix est plus large aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a dix ans, mais je peux encore chanter « piano » quand je le désire. Je me souviens d’artistes comme Montserrat Caballé par exemple, dans des enregistrements sur YouTube où je la voyais chanter des passages piano. Je sais que c’est une soprano, mais je voulais la même chose pour moi !
Dans L’Élixir, je chante Una furtiva lagrima aussi piano que je le peux, tout en faisant en sorte que, dans le théâtre tout le monde puisse, néanmoins, m’entendre.
C’est un choix artistique, mais c’est aussi parce qu’à ce moment-là, Nemorino regarde à l’intérieur de lui-même ; c’est un moment d’introspection pour lui. Et je pense que c’est bien de le faire ainsi. Je ne suis plus si jeune et, de fait, je suis plus vieux que la plupart des ténors qui chantent le rôle ; mais je suis encore heureux de pouvoir le tenir. C’est comme une récompense pour moi ! J’aime l’interpréter. C’est un être simple et ce rôle est drôle à jouer.
« La production de l’Élixir de Laurent Pelly peut encore durer vingt ans »
Cette production de Laurent Pelly a 15 ans, mais elle est si efficace ! Elle « fonctionne » à chaque fois !
Laurent a un œil juste. Il comprend ce qui est drôle et intéressant. J’ai joué dans beaucoup de ses productions et je les ai toutes aimées. La Traviata, Les Contes d’Hoffmann…
Il voit des détails qui parlent au public. Et il sait expliquer ce qu’il attend de nous.
Sur cette reprise, il est venu une semaine pour échanger avec nous, alors qu’il travaillait sur une autre production ailleurs ! Aucun de nous n’avait pratiqué cette mise en scène. Moi, je la connaissais ; je l’avais vue à Londres, un de mes amis faisait partie de la distribution.
J’ai chanté si souvent Nemorino que je sais qui il est. Et vraiment, j’aime cette production qui est belle, ouverte, honnête. Je crois que le public apprécie de voir les personnages prendre vie dans cette petite ville italienne des années 50 ou 60. Je suis allé dans la salle pendant les répétitions et, alors qu’elle date de 15 ans, cela fonctionne toujours. Ce n’est pas le cas de toutes les productions.
Je dois dire aussi que j’ai participé à des productions au Metropolitan qui dataient de quarante ans et qui tenaient encore bien ! Je me souviens, à la fin des années 90, avoir interprété le ténor italien dans Le Chevalier à la Rose, dans une production des années soixante et cela fonctionnait encore ! Cette production de l’Élixir peut encore durer vingt ans sans problèmes.
Parmi les théâtres où vous avez beaucoup chanté, il y a eu le Staatsoper de Munich. Y a-t-il une raison particulière à la relation que vous entretenez avec ce théâtre ?
J’aime cette ville. Je pense que la relation que j’avais avec Nikolaus Bachler (Directeur du Bayerische Staatsoper de 2008 à 2021) a joué. La dernière fois, c’était cet été pour Idomeneo au Prinzregententheater ; je n’avais jamais joué dans ce théâtre.
Les choses se font simplement à Munich, les temps de répétitions sont courts (peut-être six semaines pour une nouvelle production, mais trois jours pour une reprise). Si vous avez 3 trois ou 4 quatre représentations, cela prend deux semaines… et il est facile d’aménager un espace dans votre agenda.
Lorsque je vais à Londres, Paris ou Madrid, il me faut, en général, au moins un mois.
Pour l’Élixir, il y a deux distributions ; j’assure les 7 premières représentations et l’ensemble de l’engagement aura duré deux mois. C’est loin d’être évident de bloquer deux mois dans mon agenda.
Je suis privilégié, car je travaille beaucoup et que mon agent dit plus souvent « non » que oui. Je dois donc dire que des engagements courts à Munich ou à Vienne me conviennent bien. Mais ce qui est possible pour un rôle qui m’est familier, ne le sera pas pour une prise de rôle ! Pour Don Carlos, je veux vraiment avoir du temps pour répéter et bien appréhender le personnage.
Avez-vous chanté dans d’autres villes en France durant votre carrière ?
Seulement à Bordeaux et à Aix-en-Provence dans les premières années. Et j’ai donné quelques concerts à Saint-Denis.
À Aix, c’était en 2003, l’année de la grève des intermittents. Nous avons eu une seule représentation de La Traviata dans la mise en scène de Peter Mussbach avec Mireille Delunsch et Zeljko Lucic. C’était une coproduction avec Berlin. Et ils ont réussi à éditer un DVD avec ce spectacle alors que pendant le Brindisi, l’on pouvait entendre les cris des manifestants à l’extérieur (rires).
Ramey, Levine, Mackerras, Te Kanawa, Hvorostovsky, Schenk…
Revenons à New York, Le Metropolitan est une maison si prestigieuse avec des stars en permanence que ce soit pour les chanteurs, les chefs, etc. Y avez-vous fait des rencontres marquantes ?
Parmi les premiers rôles que j’ai tenus là-bas, il eut mes débuts dans Boris Godounov où je ne chantais que quelques mesures. Dans la distribution, il y avait Samuel Ramey, Olga Borodina, Paul Plishka, Sergej Larin… de grands chanteurs.
J’ai ensuite eu la chance de chanter aux côtés de Samuel et de Olga plusieurs fois. Il faut dire qu’au début je chantais des petits rôles comme Arturo dans Lucia avec Ramon Vargas et Ruth Ann Swenson. C’était passionnant de voir comment ils travaillaient, comment ils répétaient, ce qu’ils disaient, la façon dont ils chantaient ou pas, en répétitions… Cela a été très instructif. De même avec les grands chefs que j’ai côtoyés comme James Levine malgré la triste fin de carrière que l’on connaît. Mais le don musical qu’il a laissé au monde est immense !
Je me souviens de Contes d’Hoffmann avec Levine…
C’était fantastique ! Il y avait Laurent Naouri avec nous.
Parmi les chefs, il y eut aussi Charles Mackerras. Et, par ailleurs, j’ai adoré travailler avec David Mc Vicar. J’ai même rencontré Otto Schenk. J’ai vraiment été gâté de rencontrer tous ces gens au fil du temps.
Dans les rencontres marquantes, il y a eu aussi Kiri Te Kanawa, Ben Heppner, Robert Lloyd, Kurt Moll, James Morris, Renée Fleming, Susan Graham, Deborah Voigt, Bryn Terfel, Dmitri Hvorostovsky et Joyce di Donato.
« Nous observions les aînés, les jeunes nous observent… »
Je me souviens d’une conversation avec Joyce alors que nous répétions sur La Clémence de Titus. Je crois que Jimmy dirigeait. Un collègue m’a dit qu’il était heureux de nous voir travailler. Je me suis alors souvenu, qu’au début de ma carrière, je chantais un homme noble dans Lohengrin ou l’un des maîtres dans Les Maîtres chanteurs, en regardant Ben Heppner, Deborah Voigt, Deborah Polaski ou Karita Mattila discuter entre eux de leur art, leurs personnages, du chant, de la musique, etc. Et nous riions, car Joyce se souvenait de moments similaires.
Et maintenant, c’était nous que les plus jeunes observaient ! Cela me fait réaliser que les années qui se sont écoulées m’ont fait contribuer positivement à la crédibilité artistique dans un art où le public peut nous accompagner et ressentir ce que nous ressentons.
Mon rôle en tant que chanteur n’est pas seulement de produire des beaux sons, d’être un bon musicien ou un bon acteur. En dehors de cela, il est utile pour les jeunes qui sont autour de moi. Je ne suis pas le plus vieux dans cette distribution de L’élixir… mais pas loin ! Ambrogio (Maestri) va arriver ; je pense qu’il est plus jeune moi.
Le Requiem au MET le 11 septembre 2021
Vous parliez de ce Requiem de Verdi donné au Metropolitan Opera le 11 septembre 2021. Où vous trouviez-vous en 2001 au moment des attentats ?
J’étais en train de travailler au Maggio Musicale Fiorentino et, à ce moment-là. J’étais au téléphone avec ma femme qui se trouvait à New York.
La télévision était dans une pièce et le téléphone dans une autre. À un moment, J’ai réalisé qu’il se passait quelque chose. Je suis allé voir et j’ai dit à ma femme : « C’est le World Trade center » ! Nous sommes restés en ligne, nous avons vu le second avion percuter l’autre tour. Je devais retourner en répétition ; il y avait évidemment beaucoup de discussions et je n’arrivais pas à me concentrer. À la pause, les tours étaient tombées.
Mon père devait venir en Italie quatre ou cinq jours après. Il n’est pas venu. Ma femme aussi devait faire le voyage. De toute façon, il n’y avait plus d’avions pendant les jours qui suivaient.
Donc ce concert en septembre dernier fut, pour nous, lourd d’émotions. En 2001, il y avait eu tellement de morts, surtout à NYC et les tours du WTC étaient iconiques… même plus que la Statue de la Liberté ou l’Empire State Building.
En septembre dernier, au moment de la répétition, nous discutions entre artistes de la façon de transformer ce poids émotionnel en quelque chose de glorieux. Et depuis, il y a eu le Covid et plus de 700.000 morts aux États-Unis. Nous avons parlé de la pression financière exercée sur le MET et des employés qui n’ont pas été payés. Tout cela a contribué aussi à la charge émotionnelle de la soirée.
Normalement, lorsque je suis en maquillage avant la représentation, je ne suis pas nerveux ; je le suis plutôt avant, durant la journée. Mais ce ne fut pas pareil avec ce concert.
En arrivant sur le côté de la scène, j’étais encore nerveux. Cela ne m’a pas quitté jusqu’à ce que la musique démarre. Cette soirée a été cathartique.
Et pour le chœur et l’orchestre, ils n’étaient pas payés depuis des mois, alors prendre part à cet évènement, avec Yannick (Nezet-Seguin), avec nous, c’était très important !
Pour nous tous, Ailyn Pérez, Michelle DeYoung, Eric Owens et moi-même, ce fut un grand honneur d’y participer, après cette interruption de spectacle vivant qui durait depuis mars 2020. Le public était tellement réceptif ! C’est l’un des moments les plus importants que j’ai connu et pu réaliser dans ma carrière.
Tosca, Lohengrin, Billy Budd et toujours Mozart…
Matthew, une dernière question sur vos perspectives, sur vos prochains rôles…
Lorsque j’avais 23 ou 24 ans, certains me disaient « Il faudra que tu chantes Mozart dans des petites salles, à Baden-Baden, Lyon ou que sais-je ?… Sûrement pas à NY. Tu seras bon pour Bach ou Haendel…?» On a pu voir que, bien sûr, ce fut bien différent !
Aujourd’hui, je ne m’imagine ni dans Otello, ni dans Turandot. Mais qui sait où j’en serai dans 5 ou 8 ans ?
Alors, je vais chanter Tosca l’année prochaine pour la première fois. Il va y avoir des choses intéressantes comme ce Don Carlos dans la version de cinq actes.
Je pense que Lohengrin aussi, pourrait être bon pour moi ; mais je n’ai encore rien de planifié. Le problème, c’est que je ne déborde pas d’amour pour Wagner. Je préfèrerais toujours chanter Werther ou La Damnation de Faust…
Après Tosca, je regarderai aussi d’autres Puccini comme Manon Lescaut, par exemple. Nous verrons… Je ne suis pas du genre à dire « A tel âge, je fais tel rôle ! ». Je ne ferme jamais la porte à une idée et j’attends de voir comment évolue ma voix… Si elle devient plus lourde ou plus large. Je sais néanmoins, qu’aujourd’hui, elle est suffisamment lourde pour se confronter à un orchestre wagnérien.
J’ai incontestablement besoin d’aimer la musique que j’interprète. C’est l’une des raisons pour laquelle je ne chante pas de contemporain, car cela ne me transporte pas autant que Mozart, Verdi ou Puccini.
L’un des opéras que j’ai ratés avec la pandémie, c’est Billy Budd et cela me rend triste. Il figure parmi mes opéras préférés et j’ai demandé au MET de le reprogrammer.
J’espère qu’ils le monteront tout-de-même, car c’est un opéra fantastique. C’est un joyau, de même que Peter Grimes !
Voilà donc de belles perspectives ! Un grand merci de nous avoir accordé cet entretien et nous espérons vous revoir vite à Paris ou ailleurs en France…